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Puisque la dernière page en date concernait les Porsche 917, je vous propose de nous intéresser à leurs (malheureux) adversaires directs, les Ferrari 512S et 512M. En plus, comme ça on ne pourra pas dire que je laisse tomber la marque au cheval cabré.

En 1968 donc, fut créé le Groupe IV pour les moteurs jusqu'à cinq litres, avec une production minimale de 25 exemplaires. Porsche dégaina la 917 le premier, et il lui fallut près d'un an pour la mettre au point. Ferrari préparait la riposte de son coté et présenta la 512S en novembre 1969, en vue de débuter aux 24 Heures de Daytona 1970. La nouvelle voiture était motorisée par un V12 de cinq litres (512) dérivé de celui des P4. La ligne rappelait celle des 312P, la délicatesse en moins. La carrosserie était en fibre de verre. L'issue du duel étant connue, on peut dire que Porsche a grandement bénéficié d'avoir confié ses voitures à John Wyer, ainsi que de ses pilotes, Jo Siffert et Pedro Rodriguez en tête. Enfin, comme l'a souligné John Wyer, il était difficile pour Ferrari de courir deux lièvres à la fois, en voitures de sport et en Formule 1, des disciplines de plus en plus complexes. Même Mauro Forghieri ne pouvait pas faire de miracles. Le nombre de 25 voitures représentait un gros effort pour Ferrari, et pour la première fois de son histoire, la marque confia plusieurs voitures à des écuries privées dès le tout début de la production, en parallèle et identiques aux voitures usine.

La première course des 512S fut donc les 24 Heures de Daytona. Les deux adversaires se demandaient si leurs voitures tiendraient la distance. JWA venait de recevoir les siennes alors que Ferrari n'avait pas pu compléter son programme de test à cause d'une mauvaise météo. L'une des Porsche 917 s'imposa facilement, avec 45 tours d'avance sur la voiture sœur et 48 tours sur la seule 512S survivante (sur 5 engagées). Deux Ferrari 312P suivaient au classement. A Maranello, on travailla d'arrache pied pendant les sept semaines qui séparait Daytona de Sebring. La suspension fut modifiée pour limiter l'usure des pneus, le châssis allégé et la puissance accrue à 575 chevaux. Deux des voitures engagées seraient des spyders. Les Porsche connurent des problèmes de suspension, et une 512S résista jusqu'à la fin de l'épreuve pour remporter une victoire encourageante mais trompeuse. Porsche remporta les huit autres courses de la saison, même si les Ferrari parvinrent parfois à s'intercaler (deuxième et troisième à Monza, deuxième à Spa, et surtout troisième sur le très exigeant circuit de la Targa Florio où les 917 n'osèrent pas s'aventurer). Onze 512S furent alignées au Mans. Après deux heures trente de course, quatre d'entre elles furent éliminées dans un carambolage. Durant la nuit, Ickx, sur la dernière voiture d'usine, sortit de la piste, provoquant la mort d'un commissaire. Les 512S clientes durent se contenter des quatrième (NART) et cinquième (Ecurie Francorchamps) places derrière trois Porsche.  

Malgré la domination de Porsche, les 512 avaient montré de belles promesses mais il était évident que la classe des cinq litres vivrait sa dernière année en 1971. Ferrari se concentra donc sur ses nouveaux moteurs 12 cylindres à plat de trois litres, laissant les écuries clientes courir avec les 512 dont bon nombre reçurent les spécifications 512M: retouches de carrosserie, châssis plus léger, plus gros freins... et plus de 600 chevaux. Pour autant, les Ferrari ne remportèrent aucune victoire en Championnat du Monde, se contentant des deuxième et troisième places à Daytona. Au Mans, contre toute attente, les 512M terminèrent aux troisième et quatrième places, sept autres voitures abandonnant. Les 512 coururent également en Interserie et en Can Am mais faute du soutien de l'usine, elles disparurent rapidement des circuits à la fin de l'année 1971. 

L'histoire eut tout de même un épilogue amusant. En 1972, un jeune californien de 26 ans acheta la 512 de la Scuderia Filipinetti que Mike Parkes avait améliorée et l'engagea dans la dernière course Can Am de la saison à Riverside. Il offrit des tickets de première classe à Parkes pour qu'il vienne la piloter. Face à une opposition bien plus puissante, Parkes parvint à hisser la Ferrari à la dixième place. Au comble de l'excitation, le jeune propriétaire sauta dans l'auto et fit deux tours sur la piste livrée aux spectateurs, entrainant la disqualification de la voiture.

Conformément à la règlementation, 25 châssis furent construits, numérotés pairs de 1002 à 1050.

1002 a été livrée neuve à l'écurie espagnole Escuderia Montjuich. Elle a participé à de nombreuses courses en championnat du monde des voitures de sport, en Interserie et deux fois aux 24 Heures du Mans (deux abandons). Ses principaux résultats sont une deuxième place aux 1000 km de Paris en 1970 puis une deuxième place au Tour de France Auto 1971. Après la course de Daytona 1971, elle fut convertie aux spécifications 512M.

       

       

       

1004 fait partie de ces châssis à l'histoire très embrouillée, et réputé jusque récemment démembré par Ferrari. Elle aurait couru à Daytona en 1970 et terminé troisième à Monza. A la suite de ça, Ferrari la vendit au Garage Francorchamps mais sous le numéro 1024! La voiture devint la star malheureuse du film Le Mans, fournissant les éléments de carrosserie au châssis Lola utilisé pour la scène du crash. Coup de théâtre, dans les années 80, le châssis 1024 authentique refit surface. Pour éviter le doublon, la première 1024 est alors rebaptisée 1012. Mais lorsque la voiture est envoyée chez Classiche pour sa certification, les ouvriers découvrent qu'il s'agit en fait du châssis 1004! En 2002, Ferrari écrit le mea culpa suivant: 'The car we had sold to Swaters as 1024 was in reality N°1004. Apparently we made a mistake...'

       

       

1006 (1028) ferait aussi partie des châssis à plaque amovible. Selon Barchetta, le NART aurait échangé les identités de leur ancienne 1006 et de leur nouvelle 1028. La vieille voiture fut vendue et la nouvelle courut la saison 1971, avec le numéro de châssis 1006, sans grand succès puisqu'elle abandonna à Sebring et au Mans.  Cela dit, sur les photos du Mans Classic ci dessous, elle est restaurée dans la configuration de la voiture qui a terminé deuxième des 24 Heures de Daytona 1971, performance attribuée par Barchetta à 1028.

       

       

1010 a commencé en 512 Spyder, comme voiture d'usine, et fut la première 512 convertie aux spécifications M dès l'été 1970. Dans cette configuration, elle remporta les 9 Heures de Kyalami avant de recevoir un moteur de 7 litres pour courir en Interserie. Elle remporta les deux manches de la Coppa di Shell à Imola puis fut convertie en 712 Can Am Spyder avec une carrosserie adaptée. Sous cette forme, Mario Andretti la mena à la quatrième place à Watkins Glen et Jean Pierre Jarier à la même place à Road America.

       

1016 a été livrée à la Scuderia Filipinetti et courut aux mains de Mike Parkes et Herbert Mueller, terminant sixième de la Targa Florio 1970 et se trouvant impliquée dans le fameux carambolage du Mans. Cédée à Solar Productions pour le tournage du film Le Mans, elle fut ensuite achetée par le Herbert Mueller Racing Team mais ne termina aucune course. En 1998, elle participa au Tour Auto historique avec Brandon Wang, un évènement que beaucoup de passionnés rêvent de voir réitéré.

       

Elle a récemment retrouvé sa longue queue.

       

       

1018 fut livrée au team allemand de Georg Loos, Gelo Racing Team et fait partie des 512 qui ont couru le plus activement. Elle ne termina que deux courses sur sept en 1971 mais remporta les 500 kilomètres de Zolder. Convertie en 512M, elle fut engagée en Interserie pour 1971, terminant une série de sept courses par un accident à Montlhéry, à la suite de quoi elle fut vendue à Pierre Bardinon et exposée à l'exposition Cartier de 1987 une fois remise en état.

       

       

1024 ne commença sa carrière qu'en 1971, aux spécifications M, avec la Scuderia Brescia Corse, et courut principalement en Interserie, terminant entre la quatrième et la neuvième place le plus souvent. Au cours de sa deuxième vie, elle passa une quinzaine d'années chez Albert Uderzo puis une dizaine chez Ed Davies. En 2010, son nouveau propriétaire l'a mise aux couleurs de la Scuderia Filipinetti, écurie pour laquelle elle n'a à priori jamais couru.

       

       

1026 a un très beau palmarès avec la Scuderia: troisième à Daytona en 70, vainqueur des 12 Heures de Sebring, quatrième à Monza et à Francorchamps. Hélas, elle fut détruite durant le tournage du film Le Mans et l'épave resta pendant huit ans dans une casse avant d'être achetée par Nick Mason qui la fit reconstruire en Spyder. Il la possède toujours aujourd'hui.

       

1028 (1006) est la deuxième pièce du mystérieux puzzle concernant le possible échange entre 1006 et 1028. En tant que 1006, elle aurait pu terminer deuxième des 24 Heures de Daytona 1970 avec de recevoir la plaque 1028 et d'être vendue au Snake Speed Racing de David Weir. Après conversion aux spécifications M, elle aurait terminé quatrième au Mans en 1971. On peut comprendre facilement les enjeux qui se dessinent derrière ce prétendu échange de numéro: soit une seule voiture a réalisé deux belles performances, soit elles sont partagées entre deux exemplaires.

       

1030 a été vendue au Garage Francorchamps. Son principal fait d'armes est une cinquième place aux 24 Heures du Mans 1970. Convertie aux spécifications M pour 1971, elle s'est imposée à Zolder et a terminé quatrième à Watkins Glen. Acquise par Anthony Bamford fin 1971, elle a terminé deuxième au général au meeting Interserie de Silverstone.

       

       

1050, le dernier châssis, fut livré à la Scuderia Picchio Rosso à la place de 1032 dont la préparation avait été retardée par des grèves. Elle était d'emblée aux spécifications M. Elle fut rapidement engagée sous les couleurs de la Scuderia Filipinetti mais sans obtenir de résultat notable.

       

Une mise au point pour terminer. Le bruit a longtemps couru que le concept Modulo de Pininfarina était basé sur un châssis de 512S (1046 qui avait disparu peu après l'homologation) mais il est maintenant admis qu'il s'agissait en fait du châssis 0864 qui avait auparavant servi de mule pour la mise au point des 612 Can Am. 

       

Ce reportage a été rédigé avec l'aide du livre Scarlet Passion: Ferrari's Famed Sports Prototype And Competition Sports Cars 1963-73 d'Anthony Pritchard, ainsi que de Ferrari, Sport racing and prototype Competition cars  d'Antoine Prunet et du site barchetta.

       

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